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Journalist Ondine Debré has a famous lineage in French politics. Among other, her grandfather Michel Debré wrote the actual French Constitution and acted as De Gaulle's PM. Ondine Debré explains how common folks in Pocé-sur-Cisse, a long-time Debré dynasty stronghold, now divide in two camps: The Jaggers and the Debrés. But she (or the copy editor) should have done their homework, and wrote "A Bigger Bang" instead of "A Bigger Band".
Temoignage : « Mon voisin Mick Jagger »
À Pocé-sur-Cisse, il y a le chanteur des Rolling Stones et le clan Debré. Notre journaliste, et petite-fille du fondateur de la Ve république, raconte cette drôle de bataille entre célébrités.
par
Ondine Debré
J ’ai tout de suite compris.En regardant la photo sur son compte Instagram, j’ai reconnu les vieilles poignées en laiton joliment polies par le contact des mains, les portes-fenêtres anciennes, le parquet ciré, les tilleuls que l’on devine dehors derrière le chanteur des Rolling Stones qui porte beau ses bientôt 77 ans. Je connais cet endroit, cette ambiance, cette lumière : c’est la Touraine, la douce région des bords de Loire chantée par Du Bellay et Balzac, sertie par les châteaux d’Amboise, de Chaumont, de Chenonceau… Ainsi Mick Jagger, comme moi, est confiné dans le 37. À six kilomètres de ma maison, il vit dans son château de Fourchette, un bijou du XVIIIe siècle que j’ai visité enfant avec un de mes oncles, avant que le chanteur ne l’achète dans les années 1980. Depuis qu’il est à Pocé-sur-Cisse, il y a donc plus connu que ma famille dans le département. Mes ancêtres, aussi sérieux soient-ils, ne peuvent pas rivaliser en notoriété avec celui qui a réussi, en plein confinement, à faire atterrir un jet à l’aérodrome de Tours. « Gimme Shelter » l’emporte haut la main sur la constitution de la Ve République… Cette région de Touraine, c’est l’endroit où mon arrière-grand-père, le pédiatre Robert Debré, s’est installé auprès de sa femme, Jeanne Debat-Ponsan, au début du siècle. Un joli manoir à Nazelles, puis Les Madères, une magnifique maison blanche à flanc de coteau au bord de la Cisse. Nous y avons tous grandi, de maison en maison, les enfants et les petits-enfants se succédant sur les chemins de vignes et les bancs de sable des bords de la Loire. Le lit d’un fleuve comme berceau familial.
DEUX VIES PARALLÈLES
Mon grand-père, Michel Debré, fut le maire historique d’Amboise, pendant plus de vingt ans, puis ce fut mon oncle Bernard, pendant presque dix ans. Mon grand-oncle Olivier y a peint ses plus belles toiles, mon père y vit depuis dix ans. Nous sommes ici chez nous, c’est sûr. Et c’est devenu un jeu pour mes filles : voir le nom de famille de leur mère écrit sur des panneaux, des façades d’hôpitaux, des ponts… Le seul privilège que cela m’apporte encore, c’est d’embrasser la pâtissière d’Amboise, Christiane Bigot, quand je m’y arrête pour acheter des chocolats. Mais depuis que les Jagger sont à Pocé-sur-Cisse, deux clans se partagent la ville. « À Amboise, il y a les Jagger et les Debré », dit-on.
Mick traverse la Loire à vélo et va lui aussi chez Mme Bigot. Il est adorable, paraît-il, aimable, parlant français parfaitement. Il se rend au marché, et on le remarquait jadis grâce à la taille de Jerry Hall, dont le style dénotait un peu dans la région. Nos chemins n’en finissent pas de se croiser, et quand je suis ici j’ai le sentiment de vivre une vie parallèle à la sienne. J’attends une petite fille, et alors que, à l’hôpital de Tours, mon échographe m’interroge sur les idées de prénom, la discussion s’oriente sur la question de choisir ou de ne pas choisir un prénom en A pour ses enfants. « Vous savez que j’ai rencontré la petite Georgia Jagger ? Sa mère a été suivie ici, c’est moi qui ai fait les échographies de Jerry Hall », me dit-il. Jerry Hall au CHRU Bretonneau, incroyable.
LA TRANQUILLITÉ TOURANGELLE
La Touraine est devenue, pour les Jagger aussi, un berceau familial. Le patriarche à la tête d’une belle fratrie de huit enfants a récemment fait rénover un grand loft dans les communs du château pour y recevoir Georgia et les autres. On dit que ses goûts sont assez sobres malgré le studio d’enregistrement, la piscine, le court de tennis et le « petit » hélicoptère de loisir : aucune extravagance de décoration n’est à déplorer entre les murs XVIIIe. Mon père a un jour apporté deux vieux fauteuils chez un tapissier, à Saint-Ouen-les-Vignes, à quelques kilomètres de Pocé. J’étais avec lui et, de fil en aiguille, l’artisan nous avait raconté qu’il avait entièrement restauré Fourchette : banquettes, murs, fauteuils… J’ai pu voir les échantillons du tissu qui a servi pour le studio, un jacquard de laine damassé bleu, un peu baroque pour nous, mais parfait pour enregistrer en 2004 et 2005 l’album « A Bigger Band ». Pocé-sur-Cisse est un petit village de quelques milliers d’habitants, bordé par plusieurs rivières, à quelques kilomètres de la Loire. Une campagne encore un peu sauvage, malgré les touristes qui affluent pour visiter les châteaux. Les vignes dominent sur les hauteurs de ce côté du fleuve. Les vins de Loire, les blancs surtout, sont délicieux. Le château de Fourchette est habité toute l’année par un couple de gardiens d’une soixantaine d’années ; leurs enfants disent que Mick est discret et charmant. Les amis de leurs enfants racontent avoir croisé de loin la star de temps en temps…
Cela fait longtemps que les paparazzis ont déserté le village, et Mick (comme l’appellent les villageois) n’aspire qu’à la tranquillité tourangelle. Une vie normale en somme, entre le Super U et le Bricomarché, le coiffeur du village et la boulangerie. En lisant le quotidien « La Nouvelle République », j’ai appris qu’il partageait autre chose avec moi qu’un nom de famille connu dans la région : le goût des spectacles sons et lumières. Celui d’Amboise, le brillant « À la cour du Roy François », est un exemple du genre. De fin juin à août, dans le parc du château, on peut habituellement revivre la féerie du lieu. Il paraît que Mick s’y glisse tous les ans une fois la nuit tombée et le spectacle commencé… Discret, Sir Jagger s’envole tout de même parfois au-dessus des coteaux et des vignes à bord de son hélicoptère, pour admirer cette perspective du ciel. Sur la place du château d’Amboise, baptisée place Michel-Debré en 1995, je me dis que le temps est peut-être venu pour les dynasties républicaines de laisser la place à d’autres idoles et que les Jagger, eux aussi, ont droit à leur panneau quelque part dans la ville.